NOTES ET LIENS:
Les Voix de la Tech, épisode 5 !
Également disponible en version intégrale sur Apple Podcasts avec 32' supplémentaires.
Au programme :
L'intelligence artificielle et la nécessité de réduire notre empreinte environnementale avec Tristan Nitot, l'un des pionniers d'Internet en France (ex-Netscape, Mozilla Europe, QWANT et Scaleway), aujourd'hui directeur associé chez OCTO Technologies.
L'IA face à laquelle Microsoft et Apple ont lancé, chacun, une opération promotion / désamorçage avec, d'un côté, l'AI Tour de Satya Nadella, CEO de Microsoft, qui a fait escale à Paris, mardi ; de l'autre, Craig Federighi, le Vice-Président Senior chargé des OS et des logiciels chez Apple, qui a accordé une interview à Joanna Stern du Wall Street Journal pour justifier le retard d'Apple Intelligence et anticiper la déception prévisible alors que les premiers bouts de l'IA d'Apple doivent devenir disponibles, à partir du 28 octobre aux Etats-Unis.
Enfin, quand les professionnels du marketing digital, les éditeurs et les annonceurs font front et envoient une 2e lettre ouverte à Tim Cook, le CEO d'Apple, pour demander la suppression de la fonction "Distraction Control" d'iOS 18 : Pierre Devoize, le directeur général adjoint d’Alliance Digitale, en est l'un des co-signataires et il nous explique les raisons de cette fronde.
Présentation: Benjamin Vincent et Fabrice Neuman
Habillage musical par Eddy Gronfier (Twitter / X - Spotify)
Lire la transcription ci-dessous
(Attention, cette transcription est réalisée par une IA et peut contenir de erreurs)
Ici la voix de Benjamin Vincent et ici la voix de Fabrice Neman, bonjour à toutes et tous.
Et oui, bienvenue à chacune et chacun d'entre vous pour le cinquième épisode des Voix de la Tech du vendredi 25 octobre 2024.
La promesse, c'est toujours un épisode hebdo de moins de 30 minutes, mais désormais sur Apple Podcast, vous pouvez aussi savourer ces mêmes épisodes en version intégrale avec la totalité des interviews de nos invités en vous abonnant à la version premium des Voix de la Tech, Fabrice.
C'est ça Benjamin, chaque semaine des conversations qui vont un peu, voire beaucoup plus loin. On a des fois des invités qui sont assez bavards en plus de nous, mais qui sont toujours aussi passionnants et j'espère que nous le sommes aussi. En tout cas c'est le même concept, le même sommaire, les mêmes voix avec des interviews en version intégrale.
Et un prix tout doux, 2,99€ par mois avec 3 jours d'essai gratuit sur Apple Podcasts donc. Et on travaille sur un abonnement premium équivalent sur Spotify.
Alors au programme cette semaine, Microsoft et Apple, vous les connaissez, ces deux géants de la tech qui sortent les pagaies quand même pour convaincre autour de leur stratégie dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Dans une dizaine de minutes vous entendrez Satya Nadella, le CEO de Microsoft dont la tournée sur l'IA faisait escale cette semaine à Paris. Mais aussi Craig Federighi, le grand manitou des systèmes d'exploitation chez Apple. Lui est en mission de désamorçages alors que les premiers morceaux d'Apple Intelligence sont attendus sans doute lundi dans la version 18.1 d'iOS et encore aux Etats-Unis seulement.
Ce sera juste avant de rejoindre l'un des co-signataires d'une lettre ouverte au patron d'Apple, Tim Cook. Pierre Devoise, c'est le directeur général adjoint d'Allianz Digital.Il va nous expliquer pourquoi les professionnels du marketing digital sont à la fois inquiets et en colère même face à Distraction Control, une des nouveautés du système pour l'iPhone et pour le Mac.
Et tout de suite Fabrice, c'est l'un des acteurs emblématiques de l'Internet en France qu'on reçoit dans les voix de la tech. Alors, il a découvert l'informatique avec Unix il y a presque 45 ans, je ne sais pas si je peux le dire, je crois que ça l'a un peu marqué. En 97, il commence à accompagner un certain Escape dont on est beaucoup à avoir utilisé le navigateur pour découvrir le web. Et puis la suite c'est toi qui la raconte Fabrice.
Oui parce qu'en 2003 il continue, il crée la branche européenne de la fondation Mozilla, Mozilla qui quittera en 2015, donc on a une belle période.
Et puis à ce moment-là, il est déjà membre du conseil national du numérique. Avec un peu moins de deux ans ensuite chez Quant, il rejoint Scaleway et depuis un an il est chez Octo Technologies.
Avec autant d'indices, je crois que la question pour un champion qui veut gagner des millions, j'aurais touché le pactole, c'est sûr, puisqu'il s'agit de Tristan Nitot.
Bonjour Tristan.
Bonjour, j'aurais attendu un nom en latin, c'est genre dinosaure, dinosaurus internetus ou quelque chose comme ça.
Mais pas du tout, pas du tout. Alors Tristan, tu es aujourd'hui directeur associé commun numérique et anthropocène chez Octo Technologies.
Je suis sûr que tu vas nous expliquer ce qui se cache derrière cette appellation. Mais je ne veux pas oublier non plus que tu es le créateur de l'Octet Vert, un podcast qui parle de climat, de numérique et qui file la pêche. Alors est-ce qu'il y aurait un lien entre les deux déjà ?
Complètement. Alors filer la pêche, je ne sais pas. Mais oui, entre climat et numérique, indéniablement, c'est la partie anthropocène de mon titre. L'anthropocène, c'est un âge géologique pour l'instant encore imaginaire. Il n'y a pas de certitude scientifique qu'on est dans l'anthropocène. Mais l'idée de l'anthropocène, c'est qu'en fait, on est dans la période géologique où le truc qui change le plus l'environnement et les écosystèmes, c'est l'humain. Et c'est l'idée que ça transporte, c'est qu'en fait, aujourd'hui, le monde est en train d'être bouleversé par l'activité humaine et pas forcément en bien. C'est ça la notion d'anthropocène.
Alors du coup, plus spécifiquement, ça fait longtemps que tu défends une informatique qui est créée par l'humain, évidemment, une informatique plus responsable, plus écologique même. J'ai envie de te demander, depuis que tu as commencé à vraiment t'y intéresser et si on compare à ça, à la situation actuelle, est-ce que tu dirais qu'on a fait des progrès ou pas ?
Oui, alors ça, c'est absolument indéniable. On a fait de gros progrès et le truc, c'est que ça ne suffit absolument pas. C'est ce que tu vois, le verre à moitié plein ou à moitié vide, mais en tout cas, il n'est pas plein.
Tristan, est-ce qu'on peut commencer par dire, je te pose la question, tu n'as rien contre l'IA ?
C'est compliqué. C'est compliqué. Parce que déjà, moi, comme tu l'as dit en intro, vous l'avez dit en intro, je suis un vieil informaticien. Et donc, moi, j'avoue que je suis très impressionné, et ce depuis des années, par ce que peut faire l'IA. Je me souviens d'une époque, je pense que je devais être, je ne sais pas, je ne sais combien, donc 2018.
Je crois que c'est à ce moment-là que Facebook, devenu Meta, a commencé à montrer qu'ils arrivaient à avoir un logiciel, en l'occurrence donc une IA, qui analysait des images et faisait la description d'une image. Et si tu veux, comme moi, tu as fait de l'assembleur et du C, et que tu vois le genre d'objet que tu manipules avec un ordinateur, et là tu te dis, mais en fait, le truc, il voit, entre guillemets, et c'est mind-blowing, ça t'explose la tête. Ah non, mais en fait, c'est comme s'il avait des yeux, sauf qu'il n'a pas des yeux. Et en fait, il dit, ça, ce sont des joueurs de foot, on ne voyait même pas le ballon. Et tu te rends compte que, en fait, quelques roquettes de chat JPT, c'est un demi-litre d'eau que tu fais évaporer, c'est-à-dire la puissance électrique dont tu as besoin,
tu fais bouillir jusqu'à ce que ça disparaisse, rien que pour faire tourner les GPU. Et ça, ton utilisation, c'est rien par rapport,
c'est ce qu'on appelle l'inférence, l'utilisation, mais par rapport à l'entraînement, c'est ridicule. Parce qu'en fait, l'entraînement de chat JPT, c'est pendant des mois, tu fais mouliner à fond des fermes entières de GPU, des hangars entiers remplis de GPU. Tu as des dizaines de millions de cartes qui sont entassées, qui chauffent à mort et qui consomment de l'électricité, et donc qui consomment de l'eau. Et tout ça pour avoir des résultats qui ne sont pas forcément meilleurs que ce que fait Google, sachant que Google, quand même, c'est quelque chose de très, très, très compliqué. Et ça, c'est du genre 10 fois moins que l'IA. Donc, faire plus d'IA, ce n'est pas une solution.
Comment fait Tristan pour consommer mieux et donc moins de l'IA ?
Ça dépend. La meilleure façon de faire, c'est de ne pas faire. C'est-à-dire que la plupart du temps, on n'a pas besoin.
L'utilisation de l'IA qu'on propose aujourd'hui, c'est résumer des emails ou bien saisissez juste un bullet point et puis il va vous faire l'email qui va bien derrière.
Le dernier truc qu'on m'a proposé, c'est "Ah, c'est trop génial, regardez, il y a une IA qui va écrire les postes LinkedIn à votre place".
C'est comme si tu vas à la salle, mais tu viens avec un transpalette à la salle de gym, pour soulever la fonte à la place.
Alors, c'est sûr, la fonte est soulevée, mais au final, tu n'as quand même pas appris à faire l'exercice.
Tu le sais, quand on parle d'OpenAI aujourd'hui, Microsoft n'est jamais très, très loin. Lui n'était plus venu à Paris, en tout cas officiellement, depuis VivaTech en 2018.
On est six ans plus tard et mardi, le CEO de Microsoft, Satya Nadella, était à Paris, en France, pour une escale de quelques heures, pour un show désormais bien rodé de 45 minutes.
C'était au CNIT, devant un peu plus de 1000 personnes.
L'occasion pour lui de remettre co-pilot son IA avec OpenAI au centre de cette révolution que tu connais bien, révolution en marche, révolution telle,
que selon lui, la loi de Moore est dépassée avec une accélération spectaculaire,
puisque le doublement de la performance, dit-il avec l'IA, n'a plus lieu tous les 18 mois, mais tous les 6 mois.
On va écouter Satya Nadella, Tristan.
[…]
l vend du rêve ou c'est un peu la catastrophe dont tu nous parles, Tristan.
C'est un mélange des deux. Déjà, il faut rappeler la loi de Moore. La loi de Moore, c'était tous les 6, enfin 18 ou 24 mois, on arrive à doubler le nombre de transistors . Et donc, on arrive à doubler la puissance. Alors, on continue à rajouter des transistors, mais ça ne se traduit plus en puissance ajoutée. Et ça, concrètement, on peut considérer que c'est la fin de la loi de Moore. Et il dit que c'était une loi qu'on a observée, etc. Ce n'est pas tout à fait vrai.
Là, il nous fait un petit peu du révisionnisme.
C'est, attention, Gordon Moore, quand il a inventé la loi, il s'est rendu compte qu'il arrivait à doubler, mais après, il a décidé d'investir pour que ça continue à doubler.
Donc, en fait, la loi de Moore, profondément, c'est une loi programmatique d'investissement en recherche et développement. C'est combien il faut qu'on investisse pour construire des nouvelles technologies et donc des nouvelles usines pour vendre des processeurs qui vont rendre aux toilettes les précédents.
Et donc, on va en vendre encore plus et on va devenir très riche. Gordon Moore, quand il est mort il y a un an et demi, il était 96ème fortune mondiale. Ça a très bien marché pour lui, son truc. Ça fait qu'on a jeté des millions d'ordinateurs à la poubelle qui fonctionnaient encore juste parce qu'ils étaient trop lents par rapport aux nouveaux qui sortaient, mais qui marchent toujours. Et on a fait ça pendant 50 ans. La loi de Moore, c'est 65. Le premier processeur, c'est le Intel 4400 en 1971.
Pendant tout ce temps-là, on a fabriqué du matos qu'on a jeté au bout de quatre ans, ou trois ans, ou deux ans, etc.
Et le fait que cette loi plafonne, c'est une très bonne nouvelle. Parce que ça veut dire qu'enfin, on est contraint à optimiser le logiciel. OK, on a fait des conneries, il faut peut-être le reconnaître avec humilité et puis essayer de prendre un virage.
- Donc c'est possible ?
- Ah mais c'est possible ! Il y a même un type qui a fait une vidéo hilarante sur le sujet. Il a écrit un logiciel en Python qui tournait en 32 jours. Et il en a parlé sur Internet, les gens ont commencé à dire "Mais non, mais je peux faire mieux que toi". Donc il y en a un qui a fait une version en 15 minutes au lieu de 32 jours, tu vois. Et il y en a un qui tourne maintenant en 6,7 millisecondes. Donc 408 millions de fois plus rapide. Bon, c'est un cas extrême, mais imagine juste 1000 fois ou 5000 fois plus rapide. Parce qu'il y a des moments où on prend les problèmes et on les traite mal. Et en fait, si on les pensait différemment, on pourrait les résoudre beaucoup plus rapidement et légalement. Donc en fait, ce qu'il faut dans ton système d'information où tu as des millions de lignes de code, c'est juste trouver les endroits où tu as vraiment merdé.
Et optimiser juste ça. Donc tu vas choisir le 1% qui consomme comme un goret, et tu l'optimises, peut-être d'un fois 10, peut-être d'un fois 50, j'en sais rien. Et à ce moment-là, tu as réduit énormément les ressources consommées. Et voilà, donc c'est peut-être le truc qui va faire dérailler la loi de Eroom.
- Merci Tristan d'avoir été avec nous.
- Merci infiniment Tristan.
- C'était génial, merci.
- Bon et donc revenons à Microsoft Fabrice avec ce tour consacré à l'IA.
Alors c'était mardi à Paris, au CNIT à la Défense, mercredi à Rome, jeudi à Berlin, aujourd'hui, vendredi à Stockholm, avant la semaine prochaine, Oslo, Helsinki, Casablanca, puis Bern, Varsovie fin novembre, et en décembre, le Qatar, l'Australie, la Nouvelle-Zélande. Bon, une tournée mondiale, digne d'une rockstar. Est-ce que c'est de la pure promo, ou est-ce qu'il y a quelque part une forme de nécessité à évangéliser et à dire qu'on est les meilleurs ?
- Je pense qu'il y a un peu de ça. Il semble évident, et notamment avec tout ce que tu as décrit comme voyage que même pour Microsoft, c'est difficile de se faire une place dans l'IA. Et pourtant, on sait que Microsoft a vraiment sauté à pied du joint dans la piscine de l'IA dès le début, dès que OpenAI a montré ChatGPT, ils ont investi, on se rappelle, 10 milliards de dollars d'un seul coup, en disant "OpenAI, on va vous aider, vous allez pouvoir mettre vos modèles sur nos serveurs, sur Azure, et on va intégrer ça à marche forcée dans Windows et dans tous nos produits".
Moi, ça me rappelle un peu, il y a très longtemps, quand Microsoft avait raté le virage d'Internet, et d'un seul coup, ils se sont arrêtés quelques semaines, alors à l'époque c'était un petit peu plus long, c'était peut-être 6 mois, pour dire "on va mettre Internet partout". Et là, Microsoft a décidé, d'un seul coup, il y a un peu moins de 2 ans, de mettre de l'IA partout. Et maintenant, il faut rentabiliser l'investissement.
- Oui. Donc Microsoft met les bouchées doubles, on peut le dire, pour évangéliser autour de Copilot, de cette révolution où l'éditeur de Windows se présente comme incontournable, mais on voit que la situation est un peu fragile.
- Alors ce qui est marrant, c'est qu'Apple se retrouve un peu dans la même configuration, en donnant un peu le sentiment d'être en retard, certains me parlent même de 2 ans de retard, parce que même si les outils d'Apple Intelligence, donc les outils d'IA d'Apple, vont faire leur apparition dans iOS 18.1, uniquement aux US, rappelons-le,
le reste n'est pas prêt.
- Oui. Et on se souvient qu'au mois de juin, Apple en avait fait des tonnes, n'est-ce pas Fabrice ?
En annonçant Apple Intelligence, c'était lors de sa conférence mondiale des développeurs, la WWDC, et du coup Apple se retrouvait un petit peu dans une position inconfortable, presque celle de l'arroseur arrosé, d'où l'intérêt de cette interview de Joanna Stern.
- Joanna Stern, c'est une journaliste un peu star du Wall Street Journal, spécialisé dans la tech, il fait souvent des vidéos intéressantes, souvent rigolotes et bien faites, et qui a vraiment fait une interview assez longue de Craig Federighi, président du logiciel d'Apple, à l'Apple Park, et elle lui a notamment demandé pourquoi Apple était en retard dans le domaine de l'IA.
[…]
C'est intéressant parce qu'on voit, elle lui pose la question "alors pourquoi il y a du retard ?" et en gros, il dit "parce que c'est difficile, c'est une évolution tellement majeure que ça va prendre des années, peut-être même des dizaines d'années." Et je trouve même qu'il glisse quelque chose en début de sa réponse qui est de dire "quand on a commencé au début de cette année." Et cette phrase, moi, m'a beaucoup frappé. "Quand on a commencé au début de cette année."
Ça veut dire qu'ils n'en ont pas du tout parlé avant, entre eux, que l'IA pour eux, c'est une découverte. T'imagines un peu ? Donc je trouve que c'est vraiment très intéressant de voir cette interview et souvent les vice-présidents chez Apple ou chez les autres, ils ne laissent pas glisser des choses comme ça. Alors c'est peut-être un peu trop d'interprétation, mais voilà ce que ça m'a fait penser.
- Bon, moi j'ai vraiment le sentiment d'un soldat qu'on met vraiment en première ligne en disant "vas-y !"
(rires)
"Vas-y, iOS 18.1 sort lundi, désamorce-nous tout ça, parce qu'il va y avoir de la déception parmi ceux qui auront accès au premier bout de l'intelligence la semaine prochaine, Fabrice."
- Oui, oui, alors c'est ça, parce que 18.1, il y aura quelques petits bouts, notamment du traitement du texte, pour faire des résumés, des choses comme ça,
mais tout ce qui est génération d'images, par exemple, c'est pour la 18.2 dont la bêta vient de sortir. Donc en gros, on sait qu'on va avoir des articles
qui seront titrés "ah ben finalement c'était que ça".
Il y a aussi, on reconnaît des éléments de langage, Tim Cook avait aussi donné une interview, je crois aussi, au Wall Street Journal, pour faire cette phrase,
pour dire "écoutez, qu'est-ce qui est plus important, être les premiers ou être les meilleurs ?"
Alors, il ne peut pas dire autre chose que ça, puisqu'ils ne sont pas les premiers dans le domaine, et c'est ce que dit Federighi ici aussi, c'est-à-dire qu'on travaille pour qu'on soit les meilleurs dans ce qu'on va proposer.
Visiblement, enfin je ne sais pas ce que tu en penses, mais ils sont quand même en train de ramer sérieux.
[…]
C'était il y a trois jours, l'association Alliance Digitale, qui représente les professionnels du marketing digital en France, s'est fendue d'une lettre ouverte à Tim Cook, le CEO d'Apple, pour demander la suspension des nouvelles fonctions du navigateur Safari, fonction apparue dans les dernières versions d'iOS et de macOS.
Il s'agit de Distraction Control, qui permet de masquer n'importe quel type de contenu, publicité ou fenêtre de consentement sur la protection des données.
Bonjour Pierre Devoize.
Bonjour Benjamin, bonjour Fabrice.
Bonjour.
Merci d'être l'une de nos voix de la tech cette semaine.
Vous êtes le directeur général adjoint en charge des affaires publiques chez Alliance Digitale, et c'est vrai Fabrice qu'on avait envie d'en savoir plus sur cette lettre et sur cette opposition à cette nouvelle fonction lancée par Apple.
Oui, je pense que Pierre vous nous direz avec qui vous avez aussi co-signé cette lettre ouverte, qui s'adresse directement au patron d'Apple, Tim Cook.
Peut-être qu'avant ça aussi, ou en complément de ça, vous pourrez nous rappeler, puisque vous êtes très au fait de ça, ce que fait cette fonction, qu'on pourrait peut-être presque appeler de gomme magique, qui permet d'effacer, de désactiver certaines parties des pages web qu'on affiche dans Safari.
Et puis, pourquoi ça pose problème ? Alors je tiens à signaler que c'est pas que nous, c'est pas que l'Alliance Digitale, c'est pas que les professionnels du marketing digital,
mais c'est aussi la presse, à part l'intermédiaire de la PIG, l'Association pour la presse et de l'information générale,
qui représente tous les quotidiens nationaux et régionaux, le Geste aussi, sur les éditeurs de presse en ligne, mais également les annonceurs, les agences médias et le SRI.
Donc on est tous réunis, finalement, et c'est pas si fréquent que ça, pour traiter de cette question-là.
Alors qu'est-ce qu'elle fait cette fonction ?
C'est une fonction qui est relativement facile à utiliser, je sais pas si vous avez déjà eu l'occasion de le faire, mais en deux clics sur la barre de recherche de Safari depuis iOS 18, vous pouvez masquer n'importe quel contenu d'une page web. Je dis bien n'importe quel contenu, vous pouvez masquer le logo du site sur lequel vous êtes, le contenu d'un article de presse, et évidemment, ce qui nous pose encore plus de problèmes, vous pouvez contourner ce qu'on appelle les CMP, donc les fenêtres de consentement, qui permettent aux éditeurs de se conformer à la réglementation autour des données personnelles, et aussi les publicités, qui sont, pour l'essentiel,
des quotidiens qui sont représentés par les associations dans cette lettre, une des sources, ou si ce n'est la source principale de financement de leurs activités.
Alors, j'aurais envie de réagir à ça en demandant, pourquoi s'adresser à Apple spécifiquement, voire uniquement, alors qu'il y a des bloqueurs de pubs qui existent depuis tant d'années, sous forme d'extension, par exemple, pour les navigateurs, et qui sont utilisés de plus en plus ? Je crois qu'une étude récente a montré que plus de 50% des internautes américains avaient installé une extension de blocage de publicité. Alors, pourquoi maintenant ?
Le fait que des autres bloqueurs existent et qu'ils soient de plus en plus utilisés, alors moi je n'avais pas ce chiffre, j'avais plutôt 30% en tête, ça ne veut pas dire que c'est une bonne chose. Ce qu'on reproche à Apple, c'est qu'il y ait sa position dominante, et notamment le fait que ce soit le second navigateur le plus utilisé sur Internet,
a une responsabilité. Et finalement, Apple Distraction Control, ce n'est pas un acte isolé d'Apple. C'est Apple qui est parti depuis très longtemps, je dirais en guerre,
contre la publicité sur Internet. Ça a commencé en 2017, lorsqu'ils ont supprimé unilatéralement ce qu'on appelle les cookies tiers, qui permettent notamment aux journaux de monétiser leur audience. Il y a eu récemment également en 2021 ce qu'on appelle Apple App Tracking Transparency, pour lequel l'Alliance Digitale a déposé il y a près de trois ans une plainte devant l'autorité de la concurrence.
Et désormais, il y a Apple Distraction Control. Donc on pense que tout ça, évidemment, ce n'est pas fin. Et ça fait partie d'une stratégie d'Apple qui vise, dans un discours marketing qu'on connaît très bien, à dire que ces produits sont les meilleurs pour la vie privée, et qu'il faut absolument les utiliser pour ça. C'est leur argument finalement principal ces dernières années.
Et donc, ce qui change par rapport à un adblocker, c'est que déjà, en plus, c'est relativement pernicieux. Apple va dire à tout le monde que ce n'est pas un adblocker,
parce que ça ne fait que masquer les contenus. Mais finalement, c'est la même chose. Et lorsqu'une publicité va être délivrée sur le site internet et qu'elle va être masquée par l'utilisateur, en fait, ce sera presque comme une impression qui sera non visible.
Et donc, l'annonceur va payer pour une impression que l'utilisateur n'aura quasi jamais vue. Donc c'est aussi cette question-là qu'on souhaite traiter, et qu'on veut éviter qu'Apple n'aille plus loin. Parce que notre théorie, c'est que ce n'est que le début, et que ce qu'on a pu apercevoir dans nos tests, c'est-à-dire que l'utilisateur le fait de façon proactive, deviendrait progressivement automatisé, ce qui poserait un problème bien plus important que celui qu'on connaît aujourd'hui. Donc c'est aussi en anticipation de ce qu'on perçoit comme les projets d'Apple, et des rumeurs aussi qui ont cours sur Internet.
Si je comprends bien, Pierre Devoize, entre guillemets la défense d'Apple, vous n'y croyez pas. Quelles sont, selon vous, les intentions réelles de Tim Cook avec ces technologies qui sont des empêchements pour vous ?
Tim Cook, je ne sais pas, je ne veux pas lui faire un procès d'intention. En revanche, la stratégie d'Apple, comme je l'ai décrite, c'est vraiment autour de "nous sommes les chevaliers blancs de la vie privée". Ce qui est contestable à bien des égards. Nous, on l'a vu dans le cadre de notre plan d'autorité, de la concurrence,
"App tracking transparency", vous avez Apple qui fait de la publicité, comme n'importe quel acteur de la publicité, avec des données qui sont identifiables,
granulaires, sur les utilisateurs. Donc c'est aussi nous ce qu'on cherche à dénoncer, c'est une forme de double discours.
Et par ailleurs, d'un point de vue stratégique, ce qu'on observe chez Apple, c'est que leur vente de devices, qui est finalement au départ, et même encore aujourd'hui, leur principale source de financement, est de plus en plus "stable", en tout cas n'augmente plus suffisamment. Et là où Apple fait de plus en plus d'argent, c'est sur la vente de services, et notamment lié à l'App Store.
Et évidemment, Safari fait partie des applications les plus, si ce n'est la plus populaire d'Apple, et ça fait partie d'une stratégie pour attirer des utilisateurs du navigateur Chrome, par exemple, puisque c'est le dominant, vers Safari.
Et ça c'est très important dans la stratégie d'écosystème fermé d'Apple, qui est vraiment leur caractéristique, finalement, la plus singulière, depuis qu'ils existent.
Vous parlez de position dominante d'Apple, est-ce que pour vous, ça se rapproche d'une forme de pratique anti-concurrentielle, qui viserait à privilégier ses propres outils marketing ? Ça fait partie des choses qu'on étudie, évidemment.
C'est une très bonne question. Apple a une régie publicitaire qui est sur l'App Store, ce qu'on appelle Apple Search Ads, qui permet, lorsque vous faites une recherche sur l'App Store, d'avoir des suggestions qui sont en fait des publicités. Si vous cherchez le Figaro, vous aurez le Figaro, et vous aurez peut-être un autre journal qui va venir en haut, qui aura payé pour être là.
Évidemment, ces publicités, vous ne pouvez pas les supprimer, vous ne pouvez pas les masquer, contrairement à ce que vous pouvez faire sur le web. Est-ce que ça peut faire l'objet d'une pratique qu'on aurait plutôt tendance à caractériser
comme du self-referencing, en droit de la concurrence ?
Peut-être.
Ça fait partie des choses, évidemment, qu'on étudie dans ce cas. Je ne sais pas si vous avez fait attention dans la lettre.
On parle du fait qu'on étudie les recours possibles, et le droit de la concurrence en fait évidemment partie,
puisque Apple est une grande entreprise, est un gatekeeper au sens du Digital Market Act,
et donc c'est relativement pertinent comme réflexion à mener avec les restes des associations.
Pierre Devoize, c'est la deuxième fois que vous écrivez à Tim Cook, puisque vous aviez déjà adressé une lettre au mois de mai, je crois au moment où cette fonction était encore à l'état de projet. Est-ce que vous aviez eu un retour d'une manière ou d'une autre d'Apple à l'époque ? Est-ce que du coup, ce n'est pas une démarche presque symbolique, sans espoir de faire faire bouger les choses ?
C'est la deuxième lettre, tu as raison de le signaler. A l'époque, la première était sur le web eraser, comme il avait été appelé, c'était sur des rumeurs, sur des forums qui seraient annoncés en juin.
Est-ce que nous avons eu une réponse par Tim Cook ? Non.
L'effet d'envoyer cette lettre au patron de Tim Cook a une démarche symbolique, c'est vrai.
Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de conséquences derrière qui vont être indirectes.
Je ne sais pas si vous avez fait attention, cette lettre, beaucoup de personnes sont en copie, notamment les ministres concernés de l'économie, du numérique et de la culture, mais aussi les commissaires européens qui vont traiter des questions à la fois de protection des données, de consommateurs et de concurrence.
Notre objectif, c'est aussi d'alerter sur ce dispositif. Je ne fais pas ça pour rien, je passe beaucoup de temps sur ce sujet-là. Ce n'est pas juste pour être à votre micro, même si j'adore.
C'est très gentil, merci beaucoup.
Merci beaucoup Pierre Devoize, je rappelle que vous êtes le directeur général adjoint d'Alliance Digital, en charge des affaires publiques.
A bientôt dans les Voix de la Tech, Pierre. Merci Benjamin, à bientôt.
Les Voix de la Tech épisode 5, c'est fini pour cette semaine.
Et oui, time comme on dit au tennis. Merci à nos Voix de la semaine.
Tristan Nitot d'abord, Octo Technology.
Pierre Devoize, Alliance Digitale.
Et Satya Nadella, Microsoft.
Sans oublier Craig Federighi, Apple.
Et on vous donne rendez-vous vendredi prochain, le 1er novembre, pour l'épisode 6.
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[Musique]
Merci.